Pour faire admettre cette idée, longtemps considérée comme une proposition sacrilège, plus de vingt-cinq années d'une âpre lutte entre savants furent nécessaires. La vérité, en effet, blessait les esprits, non seulement dans leur amour-propre, mais aussi, et surtout, dans leurs croyances. C'est pourquoi nul conflit scientifique ne s'avéra plus passionné ni plus implacable.
A CHAQUE EPOQUE SA VERITE
Il est écrit dans la Bible « 26. Il (Dieu) dit ensuite « Faisons l'Homme À notre image et à notre ressemblance, et qu'il commande aux puissance de la mer, aux oiseaux du ciel, aux bêtes et à tous les reptiles qui se remuent sous le ciel. »
27. Dieu créa donc l'Homme à son image ; il le créa à l'image de Dieu, et il les crée mâles et femelles.
28. Dieu les bénit et il leur dit : « Croissez et multipliez-vous, remplissez la Terre et vous l'assejutissez, et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et tous les animaux qui se meuvent sur la Terre, « (Genèse, chap. I).
7. Le seigneur Dieu forma donc l'Homme du limon de la terre ; il répandit sur son visage un souffle de vie, et l'Homme devint vivant et animé. » (Genèse, chap. II).
Jusqu'au XIXe siècle, c'est-à-dire pendant près de 2000 ans, ces quelques versets résumèrent toute la science officielle relative aux origines de l'Homme. Science d'ailleurs imposée par l'Eglise, et dont il eut été périlleux de s'écarter.
Quant à l'ancienneté de notre espèce, elle se trouvait, avec la même rigueur, déterminée par la chronologie ecclésiastique : « La première époque vous présente d'abord un grand spectacle », écrit Bossuet, évêque de Meaux, dans son « Discours sur l'Histoire Universelle » (1681) : « Dieu qui crée le ciel et la terre par sa Parole, et qui fait l'homme à son image (an 4004 av, J.-C.). C'est par où commence Moïse, le plus ancien des historiens, le plus sublime des philosophes, et le plus sage des législateurs. »
L'Homme créé par la « main » de Dieu, à l'état d'adulte, dans sa forme définitive et immuable, 4000 ans avant notre ère, telles furent donc, pendunt près de vingt siècles, les croyances de nos pères à propos de leurs origines.
QUAND LA REVOLTE GRONDE PARMI LES SAVANTS
Jusqu'aux environs de l'année 1838, époque en laquelle Boucher de Perthes (1788-1868), fondateur de la Préhistoire, osa combattre der notions ou, plus exactement, des articles de foi imposés par une certaine politique culturelle, la Science, incarnée par l'illustre Cuvier (1769-1832), créateur de l'anatomie comparée, soutint donc sans opposition la théorie du la fixité de l'Homme, créé par Dieu dans l'aspect où nous le voyons aujourd'hui.
Aussi, prétendre cet Homme, jusqn'alors considéré comme un être exceptionnel, non animal et tout auréolé de prestige divin, le prétendre descendu, en réalité, d'une espèce de Singes à présent disparue, prétendre encore ce Singe lui-même provenu d'un Mammifère issu d'un Reptile primitif, pour arriver, à la fin d'une longue série de Vertébrés archaïques, au Poisson, notre plus vénérable ancêtre, prétendre, oser démonstration à l'appui, une telle vérité, ne pouvait qu'aboutir au scandale et à la discorde.
Celle-ci commença, sourdement d'ailleurs, vers l'année 1823, et laquelle Amy Boué (1744-1881), jeune géologue français vivant en Allemagne, soumit à Cuvier des ossements humains fossiles, d'un type incontestablement fort primitif, vestiges concrétisant une preuve indiscutable des variations de notre espèce au cours des âges, bref, détruisant l'idée officielle de la fixité biblique.
Cuvier, bien entendu, préféra ignorer les embarrassants documents - comme il ignora d'ailleurs, systématiquement, maintes autres pièces présentées à lui par divers chercheurs. Attitude évidemment fort déplaisante et dont la conséquence ne se fit guére attendre : bientôt, en effet, le monde savant se trouva divisé en deux camps : d'un côté, celui des Fixistes, partisans de la croyance en la création directe, par Dieu, d'un Homme parvenu sans variation jusqu'à notre époque , et de l'autre, celui des Transformistes, défenseurs de l'idée selon laquelle, issu d'un Singe primitif, l'Homme, au cours des millénaires, n'aurait jamais cessé de se modifier.
Adam chassé du Paradis terrestre par l'homme-singe !
Jusqu'à la mort de Cuvier (1832), Transformistes et Fixistes semblèrent équilibrer leurs forces.
Mais les découvertes de fossiles humains se multipliant, la position des partisans de l'« origine adamique » devint sans tarder de plus en plus précaire : dès 1836, en effet, Boucher de Perthes exhumait d'une carrière de graviers voisine d'Abbeville, de nombreux silex taillés, d'une facture grossière, attestant l'existence passée d'une industrie lithique due à des hommes très anciens, d'une structure fort primitive, en tout cas tout à fait différente de la nôtre. Aussi, en 1838, lorsque l'auteur des dites découvertes publia son fameux ouvrage « De la Création, essai sur l'origine et la progression des êtres » (5 volumes), la doctrine fixiste se trouva-t-elle fort compromise !
Vainement, dix ans plus tard (1849), le naturaliste Alcide d'Orbigny (1802-1857) essaya-t-il de pallier la situation, n'hésitant pas, pour sauver Adam, à imaginer 27 créations successives ! (Voir à ce sujet : « Cours élémentaire de Paléontologie et de Géologie stratigraphique », par Alcide d'Orbigny, 3 volumes in-4 - Masson, édit., 1849-1852.)
De toute façon, la partie s'avérait perdue pour les Fixistes : en 1856, était mise à jour la calotte crânienne de Neandertal ; puis, en 1859, le fragment de mâchoire d'Arcy sur-Cure : double découverte d'importance capitale, attestant la variabilité de l'Homme et son continuel perfectionnement au cours des millénaires. Pratiquement, cette année 1859, illustrée encore par la publication du célèbre ouvrage de Darwin (1809-1822) : « L'Origine des espèces » , terminait, par la victoire définitive des Transformistes, plus d'un quart de siècle d'ardente lutte scientifique.
Victoire par la suite de mieux en mieux affermie et, cela, malgré diverses condamnations ultérieures, entre autres celle formulée en 1864 par le pape Pie IX (1846-1878), dans un document nommé Syllabus (catalogue dc 80 propositions censurées), qui ne contribaa guère au prestige du dernier carré des Fixistes !
Quoi qu'il en soit, grâce à la victoire transformiste, la Science accomplissait un pas de géant : l'origine de l'Homme, en effet, désormais connue, pouvait être étudiés en suivant une voie précise, laquelle conduit sans équivoque, non dans le Paradis terrestre il est vrai, mais parmi les Singes primitifs et bien au-delà des 4 000 ans d'ancienneté fixés par les théologiens, voyage sans doute beaucoup moins poétique que celui proposé par nos pères, mais aboutissant à la Vérité, celle-ci constituant le seul bien digne de tout esprit prétendant à la Culture.
Homme le plus ancien et, par suite, le plus proche du Singe.
Jusqu'à la fin du premier quart de ce siècle, bien que la science eut établi l'indiscutable filiation de l'Homme et d'un singe primitif, on n'avait pu encore trouver l'être témoignant du passage direct du singe à l'Homme. Le vide dans la chaîne évolutive des espèces constituait ce que les adversaires (attardés!) du Transformisme appelaient le « chaînon manquant ». Or, en 1924, le paléontologiste Dart mettait à jour, en Afrique australe, les vestiges d'un homme si proche du singe que, pendant bien des années, la science hésita à classer dans la lignée humaine ces documents osseux. Une nouvelle série de découvertes de 1936 à 1938 dues au Hollandais Broom mit fin aux incertitudes : les crânes exhumés appartenaient bien à des êtres humains : il n'existait donc plus de « chainon manquant » !
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